Homélie par Mgr. Émilius Goulet
Fête de la Présentation de la Vierge Marie au Temple et Fête patronale de Saint-Sulpice
« Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ».
Si 51,13 b -20
Rm 12, 1-2. 9-11
Lc 11, 27-28
Chers amis,
La fête de la Présentation de la Vierge Marie au Temple, célébrée en Orient depuis le VIe siècle, semble liée à la dédicace de l’église de Sainte-Marie-la-Neuve à Jérusalem (543). Elle est devenue une des douze grandes fêtes de la liturgie byzantine ; ainsi s’exprime un lucernaire : « Après ta naissance, divine Fiancée, tu fus présentée au Temple du Seigneur pour être élevée dans le Saint des Saints comme une Vierge sanctifiée ».
L’Église latine montra plus de réserve à l’égard de la tradition suivant laquelle, Marie, à l’âge de trois ans, aurait été présentée au Temple de Jérusalem pour y prier, servir Dieu et se préparer ainsi à sa grande vocation. Cette tradition est proposée dans l’Évangile apocryphe intitulé le Protévangile de Jacques, composé probablement en Égypte au milieu du IIe siècle. Il s’agit de la plus longue glose sur des événements qui précèdent les récits évangéliques (d’où le nom « protévangile » ou « premier évangile »).
Cet écrit apocryphe raconte avec détails la conception de Marie, sa présentation à trois ans et son enfance au Temple, ses fiançailles à treize ans avec Joseph – un veuf âgé – puis la naissance de Jésus. Précisons que l’on chercherait en vain une obligation particulière dans la Loi de Moïse qui justifierait la présentation d’une enfant de cet âge au Temple. Toutefois, la légende propose, bien au-delà du merveilleux, une leçon théologique : Marie, fille de Sion, est associée au Temple.
Introduite en Avignon au XIVe siècle, la fête de la Présentation est reconnue par le pape Grégoire XI en 1372. Elle ne sera cependant inscrite au calendrier liturgique d’Occident qu’en 1585, par le pape Sixte V, eu égard à l’interprétation symbolique qu’on peut en donner : Marie est le modèle de l’Église, qui comme elle, se consacre au service de son Dieu par un don total de tout son être. La Vierge est aussi le véritable Temple où Dieu établira sa demeure au moment de l’Annonciation, préfigurant ainsi la Jérusalem céleste, dont l’Agneau qui demeure en son milieu, est l’unique flambeau (Ap 21,23).
Cette fête établit ainsi un lien entre le Temple ancien de pierre, et l’Arche de la Nouvelle Alliance, le sein très pur de la Vierge, sur laquelle descendra bientôt la shekinah, la gloire du Dieu vivant. Prolongeant notre méditation à la lumière de l’enseignement de Saint Paul : « Vous êtes le temple de Dieu » (1 Co 3,16), il apparaît juste et bon de « prendre chez nous » (Jn 19,2) Marie, afin qu’elle continue dans le Temple de nos coeurs, le service du Dieu vivant, auquel elle s’est consacrée dans le Temple de Jérusalem dès sa petite enfance.

C’est une invitation pour nous à accueillir l’exhortation de saint Paul adressée dans notre deuxième lecture : offrir notre personne et notre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu. « C’est là l’adoration véritable» . Être chrétien, encore plus être prêtre, c’est faire don de soi à Dieu; c’est vivre en communion avec Dieu et en solidarité avec ses frères et soeurs. Ne brisons donc pas l’élan de notre générosité; laissons jaillir en nous l’Esprit!
Dans les litanies, la Vierge Marie est invoquée avec raison sous le titre de « Sedes Sapientiae », « Siège de la Sagesse ». En effet, saint Luc nous la présente comme une personne réflexive, méditative; à deux reprises, il affirme : « Marie retenait tous ces événements et les méditait dans son coeur » ( Lc 2, 19; cf. 2,53). Ainsi, peut-on dire que Marie, à la suite de Ben Sirac le Sage a cherché la sagesse; dans sa prière dans le Temple, elle priait pour la recevoir. Elle nous invite donc à nous mettre à la recherche de la sagesse jusqu’à ce que nous la trouvions. C’est l’oeuvre de toute une vie : prier pour l’obtenir, la chercher obstinément, écouter, étudier et enfin suivre la route de la sagesse, s’attacher à elle et la mettre en pratique. Puissions-nous dire avec le psalmiste : « Mon coeur et ma chair sont un cri vers le Dieu vivant » ( Ps 83,4).
Dans notre lecture d’évangile, il y a deux béatitudes. Certes, à la suite de la femme de la foule, nous pouvons appliquer la première béatitude à Marie pour avoir été la mère charnelle de Jésus : « Heureuse la mère qui t’a porté et qui t’a nourri de son lait! » Elle correspond bien au bonheur éprouvé par Marie, quand elle chante : « Il s’est penché sur son humble servante ; désormais tous les âges me diront bienheureuse » ( Lc 1, 48).
Le bonheur et l’honneur d’une femme, ce sont les fils qu’elle a fait naître et qu’elle a nourris. Cette femme du peuple, elle n’est pas abusée par la critique comme quelques autres, comme les scribes et les pharisiens; elle est subjuguée par la grandeur de Jésus. Il surmonte la domination de Satan; il guérit les malades, il accomplit des miracles; en somme, il apporte le salut! La gloire du fils couvre la mère de son rayonnement. Oui, heureuse. Il faut dire la mère bienheureuse. Certes, la grandeur de Jésus confère la grandeur à sa mère. Mais cette louange exprimée par la femme pourrait être mal comprise.
Voilà pourquoi, Jésus attribue de préférence à sa mère la seconde béatitude, parce qu’elle est le modèle par excellence des auditeurs de la parole : « Heureux plutôt ceux qui entendent la parole de Dieu, et qui la gardent ». Marie est celle qui correspond le mieux à ce que Jésus dit de la bonne terre de la parabole : « Ce qui est tombé dans la bonne terre ce sont ceux qui, ayant entendu la parole dans un coeur bon et généreux, la retiennent, et portent du fruit par leur persévérance » ( Lc 8, 15).
Ce n’est pas la maternité physique, corporelle, seule, qui pourrait être la raison suffisante pour que la mère de Jésus soit dite heureuse. Il faut dire heureux celui qui entend la parole de Dieu et qui la garde. Entendre, garder et suivre la parole proclamée par Jésus, c’est la condition pour devenir des disciples, pour vivre en enfants de Dieu. En ceci, Marie est le modèle par excellence.
Apprends-nous, Seigneur Jésus, à « garder les événements dans notre coeur », comme le fit Marie, pour nous laisser enseigner sur le dessein de Dieu sur nous-mêmes et sur le monde.
L’Eucharistie, c’est l’action de grâce que l’Esprit suscite en nous, comme il la suscita en Marie. Le véritable sacrifice, c’est Dieu qui l’accomplit en nous, en venant bouleverser notre coeur. L’offrande de nous-mêmes à laquelle nous sommes appelés à consentir, à la suite de Marie et de Jésus, ne peut être que l’effet de l’amour divin, c’est-à-dire de l’Esprit, venant éclairer notre vie. Nous ne pouvons que rendre grâce à celui qui nous l’a manifestée. Ainsi devenons-nous vraiment enfants acceptant de recevoir la vie du Père. A cette Eucharistie, l’attitude de Marie nous introduit. Amen!
+ Émilius Goulet, PSS
Archevêque émérite de Saint-Boniface