Homélie de M. Jorge Pacheco en hommage à Monsieur Maurice Lavoie, PSS
Le Père Maurice Lavoie est mort. Celui qui partageait le pain avec nous nous a quitté, il est entré dans le silence des morts. Combien de mots pour exprimer ce moment-ci, cet événement incontournable, ce mystère qui questionne toute notre vie et le sens le plus fort de toutes nos actions.
Oui, l’apôtre Paul a raison, nous nous trouvons ici face au “langage de la croix” (1 Co 1, 18). Le Verbe, la Parole de Dieu est entrée dans le silence des morts et là, elle est devenue encore plus forte. Il ne nous reste pas autre chose à faire que de l’entendre : « Où est-il le sage, où est-il le scribe, où est-il le raisonneur d’ici-bas ? La sagesse du monde, Dieu n’est l’a-t-il pas rendue folle ? Alors que les juifs réclament des signes miraculeux et que les grecs recherchent une sagesse, nous, nous proclamons un Messie crucifié, scandale pour les juifs, folie pour les nations païennes ». Oui, le langage de la croix est folie pour ceux qui vont à leur perte, mais pour ceux qui vont vers le salut, pour nous, il est puissance de Dieu.
Cependant, la croix du Christ ne montre pas seulement le silence de Jésus comme sa dernière parole adressée au Père, mais elle révèle aussi que Dieu parle à travers le silence : « Le silence de Dieu, l’expérience de l’éloignement du Tout-puissant et du Père est une étape décisive du parcours terrestre du Fils de Dieu, Parole incarnée. Pendu au bois de la croix, il a crié la douleur qu’un tel silence lui causait : “Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?” (Mc 15, 34 ; Mt 27, 46) ». Persévérant jusqu’à son dernier souffle de vie, dans l’obscurité de la mort, Jésus a invoqué le Père. C’est à lui qu’il s’en remet au moment du passage, à travers la mort, vers la vie éternelle : “Père, entre tes mains, je remets mon esprit” (Lc 23, 46). Le silence devient ainsi une véritable rencontre. L’expérience de Jésus sur la croix est profondément révélatrice de la situation de l’homme face au silence de la mort : après avoir écouté et reconnu la Parole de Dieu, nous devons nous mesurer aussi au silence de Dieu, expression importante de la Parole divine elle-même.
La grande tradition patristique nous enseigne que les mystères du Christ sont liés au silence ; par lui seul, la Parole peut faire en nous sa demeure, comme chez Marie, qui est inséparablement la femme de la Parole et du silence. La remarque de saint Augustin est toujours valable - Verbo crescente, verba deficiunt - « Quand le Verbe de Dieu augmente, les paroles de l’homme manquent. »
Le silence est capable de creuser un espace intérieur au plus profond de nous-mêmes, pour y faire habiter Dieu, pour que sa Parole demeure en nous, pour que l’amour pour Lui s’enracine dans notre esprit et notre cœur, et anime notre vie.
Souvent, nous nous trouvons face au silence de Dieu, nous éprouvons presque un sentiment d’abandon. Il nous semble que Dieu n’écoute pas et ne répond pas. Mais ce silence de Dieu, comme cela a été également pour Jésus, n’exprime pas son absence. Le chrétien sait bien que le Seigneur est présent et écoute, même dans l’obscurité de la douleur, du refus et de la solitude.
Un cœur attentif, silencieux, ouvert est plus important que de nombreuses paroles. Dieu nous connaît intimement, plus que nous-mêmes, et nous aime : savoir cela doit nous suffire.
Un des plus beaux moments de la prière de Jésus est précisément quand, pour affronter les maladies, les difficultés et les limites de ses interlocuteurs, il s’adresse en prière à son Père et enseigne ainsi, à ceux qui sont autour de lui, où chercher la source de l’espérance et du salut.
La prière de Jésus à son Père atteint le point le plus profond au moment de sa Passion et de sa Mort, lorsqu’il prononce le « oui » extrême au dessein de Dieu et montre que la volonté humaine trouve son accomplissement précisément dans la pleine adhésion à la volonté divine, et non dans l’opposition. Dans la prière de Jésus, dans son cri au Père sur la croix, se rejoignent « toutes les détresses de l’humanité de tous les temps, esclaves du péché et de la mort, toutes les demandes et les intercessions de l’histoire du salut… Et voici que le Père les accueille et, au-delà de toute espérance, les exauce en ressuscitant son Fils.
L’Évangile est là, annoncé aux portes du tombeau, sans aucun recours au langage de la sagesse humaine : « Ne soyez pas effrayés, vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ? Il n’est pas ici, il est ressuscité».